10 nov. 2014

Thierry Amougou: « Il faut créer une monnaie et banque centrale panafricaine pour la zone CFA»

Macro économiste, il analyse l’impact de la non-interchangeabilité des FCFA et propose des solutions pour sortir de ce problème.
Qu’est ce qui explique qu’aujourd’hui que le FCFA de l’Afrique centrale et celui de l’Afrique de l’Ouest ne soient pas utilisés réciproquement dans les pays des deux régions sans poser de problème comme dans le passé?
Thierry Amougou 
En dehors des causes historiques liées à l’existence de deux instituts d’émission pour une seule monnaie, Il n’est pas possible de changer directement le FCFA d’Afrique centrale contre celui de l’Afrique de l’ouest parce que les deux régions, les pays qui les composent et donc les deux instituts d’émissions (BEAC et Bceao), ne se font pas confiance mutuellement. Cette méfiance s’explique entre autre par le fait que les stratégies monétaires choisies par les deux régions depuis les chocs pétroliers et les crises financières et monétaires subséquentes sont assez différentes. En effet, avant le premier choc pétrolier de 1973, l’Afrique centrale, confrontée à un problème de faiblesse du crédit bancaire dans le financement de l’économie, avait opté pour une stratégie microéconomique de gestion expansive de crédit bancaire en faveur du financement des entreprises. Après les effets néfastes du second choc pétrolier en 1979, cette politique monétaire expansive est devenue macroéconomique alors que l’Afrique de l’ouest, en proie à des déficits extérieurs suite au second choc pétrolier, avait choisi une politique monétaire restrictive (contraction du crédit) afin de résorber son déficit extérieur par une reconstitution de ses réserves de change. Ces deux stratégies différentes font que les deux instituts d’émission ne poursuivent pas les mêmes objectifs et ont automatiquement des monnaies de valeur et d’usage différents. C’est ce qui arriverait aujourd’hui si l’Europe avait eu deux banques centrales avec d’un côté une banque centrale qui appliquerait la politique monétaire restrictive que préconise l’Allemagne et de l’autre côté une autre qui opterait pour une politique monétaire expansive voulue par la France pour relancer la croissance par la demande. Cela entrainerait la naissance de deux Euros de nature et de valeur différentes car au service de structures économiques, fiscales et sociales différentes.
Le fait que le FCFA de l’Afrique Centrale soit changé en Euro ou en dollar, avant d’être changé en celui de la Cedeao profite à qui ?
Cela profite déjà à l’Africain ordinaire qui était bloqué parce qu’il ne pouvait acheter, prêter, emprunter, ou éteindre une dette parce qu’il se trouve dans une région avec un FCFA refusé comme moyen de paiement, intermédiaire des échanges et réserve de valeur. L’existence du Dollar ou de l’Euro le sort d’un blocage transactionnel très coûteux si ces devises internationales avaient été absentes. Cependant les coûts que supporte cet Africain ordinaire ne sont pas nuls car il doit chercher des informations sur comment avoir des Euros ou des Dollars, sur où les avoir et à quel taux de change. Cela fait des coûts de transaction et une perte de temps qui diminuent la valeur d’échange de ses FCFA de départ. Deuxièmement les profits vont aux courtiers et cambistes africains qui gèrent le marché informel de change. C’est un marché florissant. Cette situation profite également aux deux monnaies internationales que sont l’Euro et le Dollar. Ces deux monnaies jouent ici le rôle d’intermédiation monétaire entre les deux FCFA, rôle qui prouve que c’est non le FCFA qui circule en Afrique de l’ouest du centre mais bien effectivement l’Euro ou le Dollar. Deux monnaies qui renforcent donc ainsi leur domination au sein du système monétaire international car le manque de convertibilité entre les deux FCFA renforce non seulement leur assise mondiale, mais aussi la puissance géopolitique et économique des Etats et régions qui les émettent. Personnellement je ne parle pas de Zone Franc mais de zone Euro-FCFA pour tenir compte du fait que depuis la naissance de l’Euro en 1999 la zone Franc est une composante tropicale de la zone Euro. La monnaie et services qu’elle rend au sein d’un système financier constituent par ailleurs un bien public. L’absence de parité entre les deux FCFA fait que la neutralité, la continuité et l’égalité des services que le FCFA et la Zone-Franc doivent rendre aux citoyens n’est plus un bien public car le système de paiement offert aux personnes n’est plus cohérent par rapport aux caractéristiques d’un bien public.
Qu’est ce qu’il faudrait faire pour que les deux monnaies soient utilisées dans les différents pays, sans risque de le changer en Euro ou en dollar obligatoirement ?
Il suffit d’une volonté politique forte et conséquente des pays africains de la zone Franc. Ce qu’il faut pour remédier à cette situation n’est pas d’abord technique mais de l’ordre de l’engagement politique que les dirigeants des pays africains de la Zone Franc peuvent prendre en se posant les questions suivantes : qu’est-ce qu’une monnaie dans des pays souverains ? À quoi sert-elle dans le processus de développement de nos pays ? Les FCFA nous satisfait-il par rapport à nos problèmes et objectifs de développement ? S’ils arrivent à la réponse qu’ils sont satisfaits alors il n y a rien à faire et rien ne se fera. S’ils pensent qu’ils ne sont pas satisfaits du FCFA alors ils doivent prendre leur responsabilité et être conséquents par rapport aux deux réformes possibles suivantes : Suivre la voie de l’UE par la création d’un FCFA nouveau par intégration verticale et réformes ad hoc que cela impose afin que le FCFA soit relié à l’Euro suivant un flottement libre qui met de côté le système du compte d’opération. Cette stratégie présente l’avantage d’un ajustement pas trop brutal au sein de la Zone Eurofranc. Opter pour une l’intégration monétaire horizontale. Elle implique la fusion des deux instituts d’émissions actuels (BEAC et Bceao) via la création d’une seule Banque centrale panafricaine et d’une monnaie panafricaine. Le sommet d’Abuja en 1991 s’était engagé dans cette voie avec la création préalable du Fonds monétaire africain (FMA). C’est la voie la plus souverainiste mais elle reste très timide dans sa mise en route.
Propos recueillis par Christelle Kouétcha


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