19 oct. 2014

Corruption en milieu scolaire: Le bon geste qui ouvre les portes

De nombreux élèves admis dans les lycées et collèges l’ont été contre des pots de vin. Ici, la corruption fonctionne comme une filière organisée, où des dirigeants se servent des rabatteurs pour recruter.   
Bernard, nom d’emprunt, est aujourd’hui élève au lycée de Nyalla à Douala au Cameroun. Le jeune apprenant ignore que Joseph, son père, a dû se faire aider par un rabatteur et payer gros pour lui trouver cette place. «Monsieur, votre enfant ne peut plus être admis dans un lycée car il a un âge avancé ; donc vous allez me donner au moins 200 000 F cfa », lui avait conseillé le rabatteur. Après de multiples supplications, le parent réussira à faire accepter 150 000 F cfa, environ quatre fois plus cher que les frais exigibles pour la scolarité dans ce lycée.
Un réel motif de réjouissance pour ce parent.  « Si tu veux être sûr d’avoir une place dans un lycée à Douala, il faut toujours mouiller la barbe du proviseur, même si ton enfant est l’élève le plus brillant de la terre », fait-il remarquer. Une dame dont nous préférons taire le nom, soutient avoir déboursé 100 000 F cfa pour inscrire son enfant en classe de 6ème au lycée de Ndog-hem à Douala, où il n’avait pas eu le concours d’entrée.
 Business des proviseurs
Des rabatteurs s’occupent à chaque fois de la sale besogne pour le compte des chefs d’établissement qui, eux, redoutent des sanctions. Il faut alors débourser généralement  100 000 F cfa pour l’entrée en 6ème et les classes d’examen (3ème, 1ère et Terminale), 50 000 à 80 000 F cfa pour les autres classes en fonction de la demande et de la période.
A en croire un autre rabatteur, « En période de rentrée, les parents ont trop de problèmes et les exposent souvent autour d’un verre. La plupart des personnes que je cible sont des élèves qui ont l’âge dépassé ou qui ont été exclus du lycée ». Chez lui, le tarif est de 120 000 F cfa pour ces derniers cas et peut grimper jusqu’à 200 000 F cfa après le début des classes. Un enseignant explique que les chefs d’établissement évoquent à chaque fois l’absence de places encore disponibles. Du coup, « le parent déboussolé est souvent conduit par le complice du proviseur vers la personne qu’on appelle le "tuyau" ». Ce dernier fait très souvent partie du personnel de l’établissement.
Les chefs d’établissement cités nient tout en bloc. Surveillant général au Lycée de Nyalla, Joachim Epoh soutient plutôt que les parents se font arnaquer par des personnes externes à l’établissement. «L’administration ne peut pas permettre ce genre de choses, car notre rôle c’est d’éduquer. Il faut que les parents viennent poser leur problème au sein de l’établissement, au lieu de se laisser berner par des individus qui se prennent pour des enseignants ou des démarcheurs du lycée », soutient-il. Et pourtant, un enseignant de ce lycée confirme bien les pratiques de corruption qui y ont cours, en justifiant son implication : «Ce business est celui des proviseurs et de nous autres enseignants vacataires. Nous avons un salaire très bas et pour joindre les deux bouts, on est parfois amené à monnayer des places. Cela est communément appelé les "cas"», révèle-t-il. Pour nombre d’enseignants, la vente des places justifie les effectifs pléthoriques dans les lycées.

Concussion
A la commission nationale anti-corruption (Conac), ces actes sont qualifiés de «concussion». D’après le Code pénal, les responsables d’école dont la culpabilité est établie sont « punis d'un emprisonnement de deux à dix ans et d'une amende de 20 000 à 2 millions de F cfa ». Certains responsables d’école en ont déjà fait les frais. Dans le rapport 2011 de la Conac, l’on apprend par exemple que Lamba Léopold, alors surveillant Général au Lycée Bilingue d’Essos à Yaoundé, avait été relevé de ses fonctions le 09 novembre 2011. Motif : extorsion de 200 000 F cfa à un parent d’élève pour le recrutement de deux de ses enfants. L’année suivante, c’est un collaborateur du proviseur du lycée Bilingue d’Essos qui avait été relevé de ses fonctions, pour avoir  incité les parents d’un élève à payer de manière indue une somme de 100 000 F cfa.
Un cadre de la Conac condamne  beaucoup d’autres actes assimilés à de la corruption qui ont cours dans divers lycées et collèges : exiger aux parents  l’achat des tables bancs, des frais de livrets scolaires ou des cours d’informatique. En 2012, le proviseur Myriam Françoise Nga Edoa du Lycée Bilingue d’Ekorezock à Yaoundé avait été suspendu de ses fonctions pour ces raisons.

Abus de fonction
De l’avis  du juriste Roland Sandjo, les responsables d’établissement concernés s’exposent à des poursuites pour abus de fonction,  lequel est puni d’« un emprisonnement de trois mois à un an et d'une amende de 5 000 à 50 000 FCFA ou de l'une de ces deux peines seulement». Cependant, précise Me Jean-Rameaux Tchokonté, puisque  l'infraction des responsables d’école est commise dans le but de se procurer ou de procurer à autrui un avantage quelconque, « les dispositions du Code pénal prévoient également contre ces derniers une peine d'emprisonnement de trois mois à trois ans et une amende de 50.000 à 1 million de F  cfa», précise l’avocat.
Christelle Kouétcha (JADE)

Encadré :
Le phénomène de vente des places dans les lycées et collèges
Selon une étude de l’ONG Zenü Network intitulée « La corruption dans le secteur de l’éducation », il ressort que le monnayage des places pour le recrutement des élèves occupe le haut du pavée de la corruption en milieu scolaire avec un taux de plus de 37 %. 
Dans cette étude publiée en 2012, l’ONG relève que plusieurs responsables d’établissement ont fait fortune à travers cette pratique. « Les victimes ne sont pas souvent promptes à dénoncer les directeurs d’école. C’est très souvent quand les résultats ne sont pas satisfaisants pour eux, qu’ils sont dans tous leurs états », soutient André Marie Ntamack, chercheur en éducation et sciences sociales.  Les parents qui se prêtent à ce jeu, parfois même par contrainte, ne sont pas moins complices. «Les parents prennent parfois l’initiative de corrompre le chef d’établissement, ceci en glissant une enveloppe dans le dossier de recrutement de l’enfant. Ils ne prennent même plus le temps de rencontrer le proviseur ou le directeur, ils recherchent activement les réseaux de recrutement, falsifient les bulletins et paient pour faire inscrire leurs enfants », dénonce Flaubert Djateng, Coordonnateur de Zenü Network.
C.K (JADE)
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