De
nombreux élèves admis dans les lycées et collèges l’ont été contre des pots de
vin. Ici, la corruption fonctionne comme une filière organisée, où des
dirigeants se servent des rabatteurs pour recruter.
Un
réel motif de réjouissance pour ce parent. « Si tu veux être sûr d’avoir une place
dans un lycée à Douala, il faut toujours mouiller la barbe du proviseur, même
si ton enfant est l’élève le plus brillant de la terre », fait-il
remarquer. Une dame dont nous préférons taire le nom, soutient avoir déboursé
100 000 F cfa pour inscrire son enfant en classe de 6ème
au lycée de Ndog-hem à Douala, où il n’avait pas eu le concours d’entrée.
Business des proviseurs
Des
rabatteurs s’occupent à chaque fois de la sale besogne pour le compte des chefs
d’établissement qui, eux, redoutent des sanctions. Il faut alors débourser
généralement 100 000 F cfa pour l’entrée en 6ème et les classes d’examen
(3ème, 1ère et Terminale), 50 000 à 80 000 F cfa pour les autres classes
en fonction de la demande et de la période.
A
en croire un autre rabatteur, « En période de rentrée, les parents ont trop
de problèmes et les exposent souvent autour d’un verre. La plupart des
personnes que je cible sont des élèves qui ont l’âge dépassé ou qui ont été
exclus du lycée ». Chez lui, le tarif est de 120 000 F cfa pour ces derniers cas et peut grimper jusqu’à
200 000 F cfa après le début des classes. Un enseignant explique que les chefs
d’établissement évoquent à chaque fois l’absence de places encore disponibles.
Du coup, « le parent déboussolé est souvent conduit par le complice du
proviseur vers la personne qu’on appelle le "tuyau" ». Ce dernier fait très souvent
partie du personnel de l’établissement.
Les
chefs d’établissement cités nient tout en bloc. Surveillant général au Lycée de
Nyalla, Joachim Epoh soutient plutôt que les parents se font arnaquer par des
personnes externes à l’établissement. «L’administration ne peut pas
permettre ce genre de choses, car notre rôle c’est d’éduquer. Il faut que les
parents viennent poser leur problème au sein de l’établissement, au lieu de se
laisser berner par des individus qui se prennent pour des enseignants ou des
démarcheurs du lycée », soutient-il. Et pourtant, un enseignant de ce lycée
confirme bien les pratiques de corruption qui y ont cours, en justifiant son
implication : «Ce business est celui des proviseurs et de nous autres
enseignants vacataires. Nous avons un salaire très bas et pour joindre les deux
bouts, on est parfois amené à monnayer des places. Cela est communément appelé
les "cas"», révèle-t-il. Pour nombre
d’enseignants, la vente des places justifie les effectifs pléthoriques dans les
lycées.
Concussion
A la
commission nationale anti-corruption (Conac), ces actes sont qualifiés de
«concussion». D’après le Code pénal, les responsables d’école dont la
culpabilité est établie sont « punis d'un emprisonnement de deux à dix ans
et d'une amende de 20 000 à 2 millions de F cfa ». Certains responsables
d’école en ont déjà fait les frais. Dans le rapport 2011 de la Conac, l’on
apprend par exemple que Lamba Léopold, alors surveillant Général au Lycée
Bilingue d’Essos à Yaoundé, avait été relevé de ses fonctions le 09 novembre
2011. Motif : extorsion de 200 000 F cfa à un parent d’élève pour le
recrutement de deux de ses enfants. L’année suivante, c’est un collaborateur du
proviseur du lycée Bilingue d’Essos qui avait été relevé de ses fonctions, pour
avoir incité les parents d’un élève à payer de manière indue une somme de
100 000 F cfa.
Un
cadre de la Conac condamne beaucoup d’autres actes assimilés à de la
corruption qui ont cours dans divers lycées et collèges : exiger aux
parents l’achat des tables bancs, des frais de livrets scolaires ou des
cours d’informatique. En 2012, le proviseur Myriam Françoise Nga Edoa du Lycée
Bilingue d’Ekorezock à Yaoundé avait été suspendu de ses fonctions pour ces
raisons.
Abus de fonction
De
l’avis du juriste Roland Sandjo, les responsables d’établissement
concernés s’exposent à des poursuites pour abus de fonction, lequel est
puni d’« un emprisonnement de trois mois à un an et d'une amende de 5 000 à
50 000 FCFA ou de l'une de ces deux peines seulement». Cependant, précise
Me Jean-Rameaux Tchokonté, puisque l'infraction des responsables d’école
est commise dans le but de se procurer ou de procurer à autrui un avantage
quelconque, « les dispositions du Code pénal prévoient également contre ces
derniers une peine d'emprisonnement de trois mois à trois ans et une amende de
50.000 à 1 million de F cfa», précise l’avocat.
Christelle
Kouétcha (JADE)
Encadré :
Le phénomène de vente des places dans les lycées et collèges
Selon
une étude de l’ONG Zenü Network intitulée « La corruption dans le secteur de
l’éducation », il ressort que le monnayage des places pour le recrutement
des élèves occupe le haut du pavée de la corruption en milieu scolaire avec un
taux de plus de 37 %.
Dans
cette étude publiée en 2012, l’ONG relève que plusieurs responsables
d’établissement ont fait fortune à travers cette pratique. « Les victimes ne sont pas souvent
promptes à dénoncer les directeurs d’école. C’est très souvent quand les
résultats ne sont pas satisfaisants pour eux, qu’ils sont dans tous leurs états
», soutient André Marie Ntamack, chercheur en éducation et sciences
sociales. Les parents qui se prêtent à ce jeu, parfois même par
contrainte, ne sont pas moins complices. «Les parents prennent parfois
l’initiative de corrompre le chef d’établissement, ceci en glissant une
enveloppe dans le dossier de recrutement de l’enfant. Ils ne prennent même plus
le temps de rencontrer le proviseur ou le directeur, ils recherchent activement
les réseaux de recrutement, falsifient les bulletins et paient pour faire
inscrire leurs enfants », dénonce Flaubert Djateng, Coordonnateur de Zenü
Network.
C.K
(JADE)
Les articles sont produits
avec l'aide financière de l'Union Européenne à travers le PASC. Le contenu de
ces articles relève de la seule responsabilité de JADE Cameroun et ne peut en
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