Dr Robert Tangakou |
L’économiste analyse les conséquences de la congestion portuaire sur l’économie et le climat des affaires.
Face au
problème de congestion au port de Douala, le directeur général du PAD dans une
interview accordée à au quotidien national bilingue Cameroon tribune, semble regretter, l’époque où l’Etat
était à la fois aconier, transitaire, amodiataire, est-ce que vous comprenez
ce regret ?
Il est établi
dans le monde que le secteur privé est plus efficace que le secteur public. Ce
qui veut dire qu’en général quand on recherche de l’efficacité, on donne la
priorité à ce secteur. Il est celui qui sait le mieux chercher de
l’argent et qui sait rentabiliser ses activités. C’est la raison pour laquelle
généralement dans le monde, les activités portuaires sont privatisées. Le
secteur public est un secteur où les gens travaillent généralement sans soucis,
puisqu’ils savent qu’ils n’ont pas de problèmes de rendement. Ils n’ont pas de
problèmes de sauvegarde de l’emploi, ils n’ont pas un conseil d’administration
qui impose des objectifs, etc. La privatisation du port est venue parce que les
activités du port étaient comme les autres entreprises d’Etat déficitaires.
Cette privatisation a été une solution pour limiter les subventions d’Etat au
port. En privatisant, on réglait déjà au moins ce problème. Mais on devait
aller vers une deuxième situation où cette privatisation contribue à améliorer
le budget de l’Etat, peut-être parce que l’activité est très rentable et que
les redevances versées à l’Etat sont élevées et contribuent à améliorer les
recettes budgétaires. De plus, on devrait imaginer qu’avec une activité portuaire
efficace, la circulation des marchandises soit plus fluide, plus grande,
l’accélération du processus économique, la croissance économique s’améliore
aussi.
Peut-on
vraiment envisager que l’Etat reprenne les activités portuaires ?
De ce qu’on voit
avec nos fonctionnaires, on ne peut pas dire qu’ils soient forcément l’exemple
à suivre avec des problèmes de corruption que nous rencontrons ça et là. Mais
on devrait avoir un cahier de charge plus important. Il faut plutôt créer
des joint-ventures entre nationaux et étrangers. L’Etat doit jouer le
rôle du troisième acteur, qui veut juste que les acteurs contribuent à
améliorer le fonctionnement de l’espace portuaire. On peut imaginer une
répartition du capital soit 40% pour les étrangers, 40% pour les privés
nationaux et 20% pour l’Etat. Celui-ci ne sera pas un acteur majeur, mais il
sera au moins là pour s’assurer que cela se passe bien. Et en ce moment, peut
être que les nationaux pourront peser de leur poids et amener à prendre
des mesures qui arrangent tout le monde. En tout cas, nationaliser, non !
L’Etat n’a pas montré dans d’autres secteurs qu’il pouvait faire mieux. Il n’y
a pas une seule entreprise d’Etat qui fonctionne bien. On n’a pas trop
d’exemples. L’idéal serait aujourd’hui qu’on s’assoie autour d’une table, et
qu’on puisse revoir les concessions données à Douala international terminal
(DIT) et aux autres entreprises. Les travaux que réalisent DIT ne sont pas
forcément dédiés à Bolloré. On peut créer un deuxième DIT qui appartient cette fois
à des nationaux. On peut emmener ces derniers, à avoir aussi la possibilité de
créer une société, qui fait le même travail que les entreprises étrangères. En
ce moment là, on aura la concurrence sur le site et on va avoir des meilleurs
résultats. On verra peut-être qui est plus efficace. Le problème c’est le
monopole des étrangers chez nous, c’est ça qui fait aussi problème.
On espère qu’avec le port de Kribi, on ne va pas tomber dans les
mêmes problèmes, ça c’est le vœu qu’on peut avoir pour l’instant. En espérant
que les pouvoirs publics nous écouterons.
Si le problème
de congestion portuaire n’est pas résolu à court terme, quelles peuvent être
les conséquences sur l’économie et le climat des affaires ?
Supposons que
vous avez une entreprise camerounaise qui a besoin d’importer les matières
premières d’Europe pour produire ses biens. Si ces matières premières viennent
toujours passer un mois au port, alors qu’elles pouvaient passer moins de
temps. Vous aurez des délais d’approvisionnements qui s’allongent, ce qui
constitue des coûts énormes, pour les acteurs directement concernés. Le fait
aussi que les entreprises ne puissent pas enlever directement les marchandises,
freine le circuit économique de production, de vente, de redistribution des
revenus. Vous voyez qu’il y a toute une chaine en termes de croissance
économique, cela va pénaliser notre économie à tous les niveaux. D’où l’intérêt
de trouver une solution pour décongestionner le port de Douala le plus
rapidement possible. Puisque la congestion portuaire entraîne des problèmes.
Notamment, des marchandises qui périssent au port créent des pertes pour les
promoteurs. Il y a des produits d’exportation comme le bois qui est bloqué.
Imaginez-vous ce que l’Etat perd déjà en termes de recettes d’exportations. Et
ce que les acteurs de la filière perdent en termes de transport, de vente de
billes, des grumes etc. Il y a des pertes à tous les niveaux. En plus de la
congestion, les activités portuaires sont entre les mains des entreprises
étrangères. Celles-ci, n’ont pas forcément la notion d’entreprise citoyenne.
Par conséquent, les coûts de gestion restent aussi très élevés. Dans les
autres ports du monde, les prix moyens des transactions sont nettement
inférieurs à ceux pratiqués au Cameroun. Tout cela contribue à ce que notre
économie en souffre. Dans le cadre du climat des affaires, la confiance
des investisseurs étrangers qui souhaitent s’installer au Cameroun va prendre
un coup. Dans la note du Doing business, il y a notamment un aspect qui concerne
la fluidité des affaires. Par conséquent, le fait que le délai au port soit de
plus en plus rallongé, entraîne la dégradation de notre note en termes de
climat des affaires. Ce qui ne concourt pas à stimuler l’arrivée des
investisseurs étrangers. Toute chose qui pénalise aussi notre niveau
d’investissement national de production, de création d’emploi et de croissance.
Propos
recueillis par C.K.
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