8 août 2014

Dr Robert Tangakou : « Il faut créer les joint-ventures entre nationaux et étrangers »

Dr Robert Tangakou
L’économiste analyse les conséquences de la congestion portuaire sur l’économie et le climat des affaires.  

Face au problème de congestion au port de Douala, le directeur général du PAD dans une interview accordée à au quotidien national bilingue Cameroon tribune, semble regretter, l’époque où l’Etat était à la fois aconier, transitaire, amodiataire, est-ce que vous comprenez ce regret ?  
Il est établi dans le monde que le secteur privé est plus efficace que le secteur public. Ce qui veut dire qu’en général quand on recherche de l’efficacité, on donne la priorité à ce secteur.  Il est celui qui sait le mieux chercher de l’argent et qui sait rentabiliser ses activités. C’est la raison pour laquelle généralement dans le monde, les activités portuaires sont privatisées. Le secteur public est un secteur où les gens travaillent généralement sans soucis, puisqu’ils savent qu’ils n’ont pas de problèmes de rendement. Ils n’ont pas de problèmes de sauvegarde de l’emploi, ils n’ont pas un conseil d’administration qui impose des objectifs, etc. La privatisation du port est venue parce que les activités du port étaient comme les autres entreprises d’Etat déficitaires. Cette privatisation a été une solution pour limiter les subventions d’Etat au port. En privatisant, on réglait déjà au moins ce problème. Mais on devait aller vers une deuxième situation où cette privatisation contribue à améliorer le budget de l’Etat, peut-être parce que l’activité est très rentable et que les redevances versées à l’Etat sont élevées et contribuent à améliorer les recettes budgétaires. De plus, on devrait imaginer qu’avec une activité portuaire efficace, la circulation des marchandises soit plus fluide, plus  grande, l’accélération du processus économique, la croissance économique s’améliore aussi.  
Peut-on vraiment envisager  que l’Etat reprenne les activités portuaires ?
De ce qu’on voit avec nos fonctionnaires, on ne peut pas dire qu’ils soient forcément l’exemple à suivre avec des problèmes de corruption que nous rencontrons ça et là. Mais on devrait avoir un cahier de charge plus important. Il faut plutôt créer des joint-ventures entre nationaux et étrangers. L’Etat doit jouer le rôle du troisième acteur, qui veut juste que les acteurs contribuent à améliorer le fonctionnement de l’espace portuaire. On peut imaginer une répartition du capital soit 40% pour les étrangers, 40% pour les privés nationaux et 20% pour l’Etat. Celui-ci ne sera pas un acteur majeur, mais il sera au moins là pour s’assurer que cela se passe bien. Et en ce moment, peut être que les nationaux pourront peser de leur poids et amener à prendre  des mesures qui arrangent tout le monde. En tout cas, nationaliser, non ! L’Etat n’a pas montré dans d’autres secteurs qu’il pouvait faire mieux. Il n’y a pas une seule entreprise d’Etat qui fonctionne bien. On n’a pas trop d’exemples. L’idéal serait aujourd’hui qu’on s’assoie autour d’une table, et qu’on puisse revoir les concessions données à Douala international terminal (DIT) et aux autres entreprises. Les travaux que réalisent DIT ne sont pas forcément dédiés à Bolloré. On peut créer un deuxième DIT qui appartient cette fois à des nationaux. On peut emmener ces derniers, à avoir aussi la possibilité de créer une société, qui fait le même travail que les entreprises étrangères. En ce moment là, on aura la concurrence sur le site et on va avoir des meilleurs résultats. On verra peut-être qui est plus efficace. Le problème c’est le monopole des étrangers chez nous, c’est ça qui fait aussi problème. On espère qu’avec le port de Kribi, on ne va pas tomber dans les mêmes problèmes, ça c’est le vœu qu’on peut avoir pour l’instant. En espérant que les pouvoirs publics nous écouterons.
Si le problème de congestion portuaire n’est pas résolu à court terme, quelles peuvent être les conséquences sur l’économie et le climat des affaires ?
Supposons que vous avez une entreprise camerounaise qui a besoin d’importer les matières premières d’Europe pour produire ses biens. Si ces matières premières viennent toujours passer un mois au port, alors qu’elles pouvaient passer moins de temps. Vous aurez des délais d’approvisionnements qui s’allongent, ce qui constitue des coûts énormes, pour les acteurs directement concernés. Le fait aussi que les entreprises ne puissent pas enlever directement les marchandises, freine le circuit économique de production, de vente, de redistribution des revenus. Vous voyez qu’il y a toute une chaine en termes de croissance économique, cela va pénaliser notre économie à tous les niveaux. D’où l’intérêt de trouver une solution pour décongestionner le port de Douala le plus rapidement possible. Puisque la congestion portuaire entraîne des problèmes. Notamment, des marchandises qui périssent au port créent des pertes pour les promoteurs. Il y a des produits d’exportation comme le bois qui est bloqué. Imaginez-vous ce que l’Etat perd déjà en termes de recettes d’exportations. Et ce que les acteurs de la filière perdent en termes de transport, de vente de billes, des grumes etc. Il y a des pertes à tous les niveaux. En plus de la congestion, les activités portuaires sont entre les mains des entreprises étrangères. Celles-ci, n’ont pas forcément la notion d’entreprise citoyenne. Par conséquent, les coûts de gestion restent aussi très élevés. Dans les autres ports du monde, les prix moyens des transactions sont nettement inférieurs à ceux pratiqués au Cameroun. Tout cela contribue à ce que notre économie en souffre. Dans le cadre du climat des affaires,  la confiance des investisseurs étrangers qui souhaitent s’installer au Cameroun va prendre un coup. Dans la note du Doing business, il y a notamment un aspect qui concerne la fluidité des affaires. Par conséquent, le fait que le délai au port soit de plus en plus rallongé, entraîne la dégradation de notre note en termes de climat des affaires. Ce qui ne concourt pas à stimuler l’arrivée des investisseurs étrangers. Toute chose qui pénalise aussi notre niveau d’investissement national de production, de création d’emploi et de croissance.

Propos recueillis par C.K.

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