Le Coordonateur du Réseau de lutte contre
la faim analyse les dérives sur la nouvelle concession octroyée à Herakles
Farms.
Comment avez-vous accueilli le décret du
président de la République du Cameroun qui cédait une concession provisoire
de 20 000 ha de terres dans le Sud-Ouest à l’entreprise Herakles
Farms ?
Jaff Napoléon Bamenjo |
Le décret présidentiel ne nous a pas
laissé indifférent. Pour le rappeler, il s’agit précisément de l’octroie
de 19 843 ha de terre à SGSOC, filiale de Herakles Farms au Cameroun. Mais, le
17 septembre 2009 déjà, Sithe Global Sustainable Oils Cameroon PLC (SGSOC) a
signé un contrat avec le gouvernement camerounais pour la mise sur pied d'une
grande plantation industrielle de palmiers à huile sur 73 086 par un bail
foncier de 99 ans. Pour nous, c’est une victoire pour toute la bataille
qu’ont menées les populations riveraines, Relufa et d’autres organisations de
la société civile pour dénoncer la présence « illégale » de la
société SGSOC au Cameroun, et les impacts du projet aussi bien sur
l’environnement que sur les populations locales riveraines. Victoire
parce que bien que notre souhait a toujours été l’arrêt
définitif de ce projet dans notre pays, la revue de la durée de la
concession, de la superficie et du coût du loyer de la terre démontre que le
plaidoyer mené a porté des fruits significatifs.
On est parti de 73 000 ha à
20 000 ha reçu par SGSOC, est-ce que cette proportion résout le problème
soulevé par les populations locales et plusieurs ONG comme le votre ?
Bien que le bail porte sur une superficie
moindre qu’initialement prévue, le problème n’est pas résolu pour autant. Cela
ne résout pas le problème soulevé par les communautés qui estiment ne pas avoir
donné leur consentement à la cession de leurs terres traditionnelles, et
redoutent les tensions et conflits susceptibles de naître de la pénurie
foncière annoncée. En plus de cela, la démarcation des limites des villages qui
est indispensable dans la détermination des superficies de terres disponibles
dans les villages n’a pas eu lieu et demeure une demande des communautés
dans la plupart des villages. Car cet exercice aurait permis de
déterminer que celles proposées en concession à SGSOC ne dépassent pas 30% des
superficies des villages. A cela, s’ajoute le fait que dans au moins trois
villages de l’arrondissement de Nguti, les superficies allouées par décret à
SGSOC sont supérieures à celles cédées par les populations et consignées dans
le rapport de la commission consultative daté du 08 juin 2013. Notamment à
Ayong où l’on observe 605 ha de terres concédés par décret contre 300 ha cédées
par les populations; à Sikam ce sont 3410 ha cédés contre 3 110 ha approuvés
par les communautés et à Manyemen-Ebanga, 2941 ha attribués contre 2 720 ha.
Tout cela fait craindre les conflits dans les villages concernés par le projet
et les conséquences sur les moyens de subsistance des populations
locales.
La nouvelle concession octroyée à SGSOC,
prend-elle en compte les problèmes environnementaux que les ONG posaient à
l’encontre de ce projet ?
Les décrets ne disent rien
là-dessus. La région est pourtant réputée pour être un lieu sensible du point
de vue de la qualité de la biodiversité. Nous craignons les conséquences
inacceptables que ce projet de plantation de palmier à huile va entraîner
sur la biodiversité. Car la zone est un lieu de grande valeur pour la
biodiversité, à proximité de quatre aires protégées (le parc national de Korup,
les monts Rumpi, le Mont Bakossi et le sanctuaire de faune de Bayang-Mbo). Cet
espace abrite des douzaines d'espèces en voie d'extinction, et la zone entre
les aires protégées est un important couloir de migration des espèces. A cela
s’ajoute le fait que la qualité de l’étude d’impact environnementale et sociale
du projet reste médiocre. Les évaluations des forêts à haute valeur pour la
conservation et la richesse faunique et floristique de la forêt faites par la
compagnie ont été contestées par quelques organismes internationaux.
Le même décret ne précise pas clairement
quel est le sort des personnes qui avaient déjà mises en valeur les terres
octroyées à Herakles Farms, quel est votre analyse ?
Cela revient à l’épineux problème de la
non prise en compte des besoins en terres des communautés pour assurer la
pérennisation de leur mode de vie comme l’agriculture et la chasse, lors des
attributions des terres aux investisseurs dans notre pays. Cette
situation remet en scène le problème de la reconnaissance et
de la sécurisation des droits des communautés sur les terres qu’elles occupent
ou exploitent. Car le décret n’ayant pas précisé le sort des personnes qui
avaient déjà mises en valeur les terres octroyées à Herakles Farms, elles
seront déguerpies en contre partie d’une indemnité dérisoire telle que prévue
par la législation foncière en vigueur, ce qui ne compensera jamais les
terres qu’elles vont perdre ni les investissements effectués.
Concrètement, est ce qu’un tel projet
piloté par Herakles Farms, va être bénéfique pour les populations du
Sud-Ouest?
Nous pouvons dire qu’il n’est pas
certain que ce sera bénéfique pour ces populations en raison déjà de
l’expérience de la compagnie sur le terrain durant ces quatre dernières
années. Les promesses d’emploi local et de développement d’infrastructures
faites par la compagnie pour promouvoir le projet au niveau local n’ont
pas été tenues. SGSOC/Herakles Farms a menti à ses investisseurs, au
Gouvernement du Cameroun et aux communautés en affirmant à plusieurs reprises
qu’elle se soumettrait, dans ses opérations, aux standards environnementaux et
sociaux les plus élevés. Leur retrait de la Table Ronde pour l’Huile de Palme
responsable (RSPO) exprime leur incapacité à satisfaire aux exigences des
standards de cette institution et leur manque du sérieux. En
plus de cela étant donné que la plupart des investisseurs qui
exploitent nos terres agricoles tendent à exporter tout ce qu’ils
produisent, cela ne saurait leur être bénéfique, mais va seulement
convertir les populations en ouvriers prolétaires agricoles. Pour nous, il fallait
plutôt penser à promouvoir les entrepreneurs locaux en soutenant leurs petites
plantations.
Propos recueillis par Christelle Kouétcha
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