5 mai 2014

Jaff Napoléon Bamenjo: « Des conflits à craindre dans les villages concernés par le projet Herakles Farms »

Le Coordonateur du Réseau de lutte contre la faim analyse les dérives sur la nouvelle concession octroyée à Herakles Farms.

Comment avez-vous accueilli le décret du président de la  République du Cameroun qui cédait une concession provisoire de 20 000 ha de terres dans le Sud-Ouest à l’entreprise Herakles Farms ?
Jaff Napoléon Bamenjo
Le décret présidentiel ne nous a pas laissé indifférent. Pour le rappeler, il s’agit précisément de l’octroie de 19 843 ha de terre à SGSOC, filiale de Herakles Farms au Cameroun. Mais, le 17 septembre 2009 déjà, Sithe Global Sustainable Oils Cameroon PLC (SGSOC) a signé un contrat avec le gouvernement camerounais pour la mise sur pied d'une grande plantation industrielle de palmiers à huile sur 73 086 par un bail foncier de 99 ans. Pour nous, c’est  une victoire pour toute la bataille qu’ont menées les populations riveraines, Relufa et d’autres organisations de la société civile pour dénoncer la présence « illégale » de la société SGSOC au Cameroun, et les impacts du projet aussi bien sur l’environnement que sur les populations locales riveraines. Victoire  parce que bien que notre souhait a toujours été l’arrêt définitif  de ce projet dans notre pays, la revue de la durée de la concession, de la superficie et du coût du loyer de la terre démontre que le plaidoyer mené a porté des fruits significatifs. 
On est parti de 73 000 ha à 20 000 ha reçu par SGSOC, est-ce que cette proportion résout le problème soulevé par les populations locales et plusieurs ONG comme le votre ?
Bien que le bail porte sur une superficie moindre qu’initialement prévue, le problème n’est pas résolu pour autant. Cela ne résout pas le problème soulevé par les communautés qui estiment ne pas avoir donné leur consentement à la cession de leurs terres traditionnelles, et redoutent les tensions et conflits susceptibles de naître de la pénurie foncière annoncée. En plus de cela, la démarcation des limites des villages qui est indispensable dans la détermination des superficies de terres disponibles dans les villages n’a pas eu lieu et demeure  une demande des communautés dans la plupart des villages. Car cet exercice aurait  permis de  déterminer que celles proposées en concession à SGSOC ne dépassent pas 30% des superficies des villages. A cela, s’ajoute le fait que dans au moins trois villages de l’arrondissement de Nguti, les superficies allouées par décret à SGSOC sont supérieures à celles cédées par les populations et consignées dans le rapport de la commission consultative daté du 08 juin 2013. Notamment à Ayong où l’on observe 605 ha de terres concédés par décret contre 300 ha cédées par les populations; à Sikam ce sont 3410 ha cédés contre 3 110 ha approuvés par les communautés et à Manyemen-Ebanga, 2941 ha attribués contre 2 720 ha. Tout cela fait craindre les conflits dans les villages concernés par le projet et les conséquences sur  les moyens de subsistance des populations locales.
La nouvelle concession octroyée à SGSOC, prend-elle en compte les problèmes environnementaux que les ONG posaient à l’encontre de ce projet ?
Les  décrets ne disent rien là-dessus. La région est pourtant réputée pour être un lieu sensible du point de vue de la qualité de la biodiversité. Nous craignons les conséquences  inacceptables que ce projet  de plantation de palmier à huile va entraîner  sur la biodiversité. Car la zone est un lieu de grande valeur pour la biodiversité, à proximité de quatre aires protégées (le parc national de Korup, les monts Rumpi, le Mont Bakossi et le sanctuaire de faune de Bayang-Mbo). Cet espace abrite des douzaines d'espèces en voie d'extinction, et la zone entre les aires protégées est un important couloir de migration des espèces. A cela s’ajoute le fait que la qualité de l’étude d’impact environnementale et sociale du projet reste médiocre. Les évaluations des forêts à haute valeur pour la conservation et la richesse faunique et floristique de la forêt faites par la compagnie ont été contestées par quelques organismes internationaux.
Le même décret ne précise pas clairement quel est le sort des personnes qui avaient déjà mises en valeur les terres octroyées à Herakles Farms, quel est votre analyse ?
Cela revient à l’épineux problème de la non prise en compte des besoins en terres des communautés pour assurer la pérennisation de leur mode de vie comme l’agriculture et la chasse, lors des attributions des terres  aux investisseurs dans notre pays. Cette situation remet en scène  le problème  de la reconnaissance  et de la sécurisation des droits des communautés sur les terres qu’elles occupent ou exploitent. Car le décret n’ayant pas précisé le sort des personnes qui avaient déjà mises en valeur les terres octroyées à Herakles Farms, elles seront déguerpies en contre partie d’une indemnité dérisoire telle que prévue par la législation foncière en vigueur, ce qui ne compensera jamais  les terres qu’elles vont perdre ni les investissements effectués. 
Concrètement, est ce qu’un tel projet piloté par Herakles Farms, va être bénéfique pour les populations du Sud-Ouest? 
Nous  pouvons dire qu’il n’est pas certain que ce sera bénéfique pour ces populations en raison déjà de l’expérience  de la compagnie sur le terrain durant ces quatre dernières années. Les promesses d’emploi local et de développement d’infrastructures faites  par la compagnie pour promouvoir le projet au niveau local n’ont pas été tenues. SGSOC/Herakles Farms a menti à ses investisseurs, au Gouvernement du Cameroun et aux communautés en affirmant à plusieurs reprises qu’elle se soumettrait, dans ses opérations, aux standards environnementaux et sociaux les plus élevés. Leur retrait de la Table Ronde pour l’Huile de Palme responsable (RSPO) exprime leur incapacité à satisfaire aux exigences des standards de cette institution  et leur manque du sérieux.   En plus de cela  étant donné  que la plupart des investisseurs qui exploitent nos terres  agricoles  tendent à exporter tout ce qu’ils produisent, cela  ne saurait leur  être bénéfique, mais va seulement convertir les populations en ouvriers prolétaires agricoles. Pour nous, il fallait plutôt penser à promouvoir les entrepreneurs locaux en soutenant leurs petites plantations.
Propos recueillis par Christelle Kouétcha


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