Plusieurs acteurs de la gestion des
déchets au Cameroun ont encore du mal à s’acquitter du permis environnemental de plus de 10
millions de FCFA exigé par le gouvernement pour exercer cette activité.
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Les collecteurs veulent débarrasser la nature des déchets plastiques mais à quel prix? |
Bépanda petit Wouri, au lieu dit Pont Bao,
à Douala. Alors que le soleil est au zénith ce mercredi 16 avril 2014, des
hommes vêtus de blouse bleue, courbés dans un amas d’ordures, qui jouxte le
pont, sont imperturbables. Ici, c’est le site de l’association Appui au
développement communautaire du Cameroun (Adec). Depuis plus d’une dizaine
d’années, cette association s’est spécialisée dans la collecte des déchets
ménagers, parmi lesquels les bouteilles plastiques. Et, ce mercredi après midi,
les trois membres de l’association présents sur les lieux, s’attellent à trier
tout ce qui est plastique dans le kilo de déchets collecté dans les ménages et
les artères des quartiers, la veille.
Ce sont les bouteilles PET (Polyéthylène
téréphtalate) qui intéressent les collecteurs. Ces bouteilles sont aussi bien
celles des eaux minérales, que des jus. Un bac à ordure de la société d’hygiène
et de salubrité du Cameroun (Hysacam), estampillé Plastic-Recup, un projet mené
par l’entreprise et la Société anonyme des brasseries du Cameroun, pour
débarrasser l’environnement des bouteilles plastiques de marque Tangui, est
installé sur le site de l’Adec. Les bouteilles plastiques collectées, sont donc
reversées dans ce bac. Responsable de l’Adec, Charles Naintezan, confie que par
semaine, son équipe réussit à collecter auprès des ménages et dans les
poubelles, entre 10 et 20 Kg de bouteilles plastiques. La récupération de ces
plastiques se fait à l’aide des brouettes, des tricycles.
Mais, ce n’est pas le cas dans la
structure Atelier de curage, appartenant à Michel Nde, un autre collecteur. Sa
jeune équipe, sillonne les artères des quartiers de l’arrondissement de Douala
3ème, avec des sacs pour récupérer tout ce qui est plastique. Ainsi,
en plus des PET, son unité s’intéresse aussi aux chaises en plastiques, aux
récipients, jouets appareils électroménagers en plastique. Bref, tout ce qui
s’apparente au plastique et qui traine dans les caniveaux, les drains, les
rues, Michel Nde, se charge de les enlever. « Ce sont des matières non
biodégradables, donc qui ne se décomposent pas sous l’action des champignons et
des micro-organismes présents dans le milieu. N’étant pas dégradables, les
plastiques sont une cause de pollution durable, ils causent l’encombrement des
canaux d’évacuation », déballe fièrement le collecteur, ses connaissances reçues au cours des
formations en collecte de déchets plastiques. Dans les drains, ses équipements
sont les râteaux confectionnés avec des fers issus de la récupération, des
pelles, des tridents…
L’activité de l’Adec, de l’Atelier curage
et plusieurs autres associations est « louable », car la pollution de
l’environnement par le plastique reste un goulot d’étranglement au Cameroun.
C’est ce qui témoigne d’ailleurs les chiffres relevés par la Communauté Urbaine
de Douala (CUD) dans l’édition de janvier de 2013 de « Environnement
magazine ». En effet, d’après la CUD la production journalière de
déchets dans la ville de Douala par exemple, est estimée à 1500 tonnes et les
déchets plastiques y sont représentés à 8,37% soit 125.55 tonnes. La production
industrielle en déchets plastiques est estimée à 15 250 tonnes par an, en plus
de 250 millions de bouteilles en plastiques PET qui sont mises sur le marché
camerounais chaque année. Il faut les débarrasser de la nature, surtout
que ces déchets plastiques « constituent une matière première que l’on a
sans avoir en acheter », analyse Michel Nde.
Mais, pour débarrasser la nature de ces
déchets plastiques, il faut payer. Les collecteurs comme l’Adec, Atelier
curage, et plusieurs autres structures engagées dans cette activité de
collecte, sont soumis au paiement d’un certain nombre de caution. Ainsi, comme
le stipule l’arrêté du 15 octobre 2012 du ministère de l’Environnement, de la
protection de la nature et du développement durable fixant les conditions
d’obtention d’un permis environnemental en matière de gestion des déchets, les
collecteurs de déchets plastiques (des déchets classés dans la catégorie des
déchets non dangereux par le Minepdd ndlr) doivent verser avant le démarrage de
leur activité une caution financière plafonnée à 10 millions de FCFA et d’une
quittance de versement d’un montant de 100 000 FCFA. Soit un total de 10,
1 millions de F CFA. Le permis environnemental n’est valable que pour 5
ans.
Ainsi, que la structure soit ONG,
association, petite et moyenne entreprises (PME), Très petite et moyenne (TPE)
ou que le collecteur soit individuel… tout le monde paye. D’ailleurs, depuis le
15 avril 2014, le sursis d’exonération à ces cautions du permis
environnemental, a pris fin, apprend-on auprès du délégué régional du Minepdd,
pour la région du Littoral, Sidi Bare. Et, chez les collecteurs,
particulièrement les petits collecteurs, qui fonctionnent pour la plupart sous
fonds propre, débourser plus de 10,1 millions de FCFA, pour se conformer à la
réglementation seulement, constitue une asphyxie. Car, « cette somme
nous ne savons même pas où on va la trouver, dites moi quelle banque peut
accepter financer un projet de collecte de déchets ? Difficile, car ces
institutions ne croient pas à ce type de projet. Bien plus, vous allez débourser
un tel montant, et vous allez vous équiper avec quoi ? »,
s’interroge Michel Nde. Lui, et plusieurs autres collecteurs rencontrés
voient en ces cautions, un paradoxe, vu que « notre activité
consiste à débarrasser la nature des déchets que nous n’avons même pas jeté »,
s’indigne, un collecteur. Surtout que, le coût d’obtention d’un permis
environnemental dans la cadre de la collecte des déchets plastiques est deux
fois supérieure à celui relatif à l’activité de tri, collecte, transport et
élimination finale des déchets toxiques et/ou dangereux, déchets médicaux,
pharmaceutiques et déchets hospitaliers liquides, car la quittance à
payer est de 200 000 FCFA et la caution à fournir de 2 millions de FCFA.
Dans les structures qui accompagnent ces
collecteurs comme la Fondation camerounaise de la terre vivante (FCTV), et le
Groupe d’initiative commune (GIC) Bellomar, à titre d’exemples, les
responsables estiment qu’avec le coût pour l’obtention des permis
environnementaux, l’engouement des collecteurs va considérablement s’atténuer
et les plastiques continueront de polluer l’environnement. « Soumettre
les collecteurs a un permis environnemental c’est bien car cela permet
d’organiser le secteur. Mais, demander des centaines de millions à des
personnes qui n’ont que des microstructures, et qui n’arrivent même pas à
s’ouvrir sur le marché, car la quantité collectée est souvent très faible,
n’est pas encourager le développement de ce secteur florissant »,
Martial Bella Oden, promoteur du GIC Bellomar. A en croire ce dernier,
l’activité de collecte des déchets est a plus de 90% menée par les petits
collecteurs au Cameroun.
Point Focal FCTV à Douala, Job Léonce
Tonye, relève en outre que les autorités gagneraient à saluer l’effort des
collecteurs de déchets. Ceci, en offrant à ces derniers des accompagnements,
comme cela se fait dans les pays comme le Nigeria et l’Ouganda. LQE a appris
auprès de ce dernier, qu’au Nigéria par exemple, les collecteurs bénéficient
des appuis gouvernementaux à travers des fonds publics. Des appuis, qui
facilitent la collecte des déchets plastiques et qui aujourd’hui a permis au
Nigeria d’être le plus gros fournisseur de granulés en plastique au Cameroun.
« Dans ce pays, les collecteurs sont si motivés et mieux équipés, qui
réussissent à collecter au moins 5 000 tonnes de plastiques sans problème,
contrairement à nos collecteurs », révèle-t-il. Collecteur de déchets de
plus de dix ans, Alexis Sandjong, quant-à-lui ne manque pas de se
demander « si nous déboursons même les 10 millions qu’on nous exige, nous
allons collecter combien de kilo ou de tonnes de déchets plastiques avec nos
pioches, pelles pour compenser ses dépenses ?» A en croire ce dernier,
sans les machines modernes adéquates, les collecteurs réussissent à peine à
faire 100 Kilo de déchets plastiques par semaine.
Des contraintes d’accessibilité au permis
environnemental, qui selon certains experts en environnement, peut se
résoudre par la catégorisation des permis. Et, par catégorisation,
« l’on attend que l’Etat détermine clairement les petits, moyens et grands
collecteurs et fixe le coût du permis en fonction de ces catégories. Et,
pourquoi pas rendre gratuit le permis pour des collecte individuel qui font du
porte à porte », explique, Job Léonce Tonye. Celui-ci, confie que même les
structures qui offrent des formations aux collecteurs, sont également
concernées par ce permis environnemental plafonné à 10 millions de FCFA…
Raison : ils sont aussi proches du circuit de gestion des déchets
plastiques.
D’autres spécialistes en environnement,
estiment plutôt que pour un début et vu l’ampleur de la pollution des déchets
plastiques, l’exonération au permis environnemental pour les petits collecteurs
pouvait encore s’étendre, même pour deux ans. Mieux, « il faut une
fiscalité adaptée aux activités de collecte et de valorisation des déchets.
Car, ceux qui mènent cette activité mène une activité d’intérêt général et ne
peuvent pas être taxés comme ceux qui exercent les activités commerciales »,
souligne Martial Bella Oden, tout en prenant l’exemple des allègements fiscaux
des entreprises agricoles, qui bénéficient des exonérations des TVA à la vente
et aussi de l’impôt sur les sociétés.
Christelle Kouétcha