L’artisan
minier, Narko TAYO a été interné le 02 mai 2019 aux urgences de l’hôpital
régional de Bertoua dans la région de l’Est pour blessures par arme à feu dans
ses parties intimes. Le blessé âgé de 42 ans, a été touché par la balle d’un
homme en tenue chargé d’assurer la sécurité d’un chantier minier d’une
entreprise chinoise, installée à Colomine, dans l’arrondissement de Ngoura
région de l’Est. Selon les témoignages
concordants, alors qu’il assurait la sécurité du site exploité par l’entreprise
chinoise connue par les communautés sous le nom de « Laon »
(l’entreprise ayant refusé de donner sa véritable dénomination) l’homme en
tenue sur ordres des responsables de l’entreprise chinois de disperser les
artisans miniers qui se ruaient sur le site minier à la recherche de l’or, a
tiré des coups de feu. Lesdits coups de feu ont traversé un domicile situé
non loin du site et transpercé le Sieur Narko TAYO couché sur lit. La balle a
traversé la maison construite en matériaux de fortune et atteint la victime dans
ses parties intimes.
Selon les
témoignages des proches de la victime, elle a été conduite d’urgence au Centre
de santé de Colomine. Malheureusement, le cas étant sérieux et le centre de
santé ne disposant pas de l’équipement adéquat pour la prise en charge de son
cas, la victime a été transférée d’urgence à l’hôpital régional de Bertoua. Des
sources proches de la famille, ont confié que 50 000 FCFA auraient été remis à l’homme en tenue pour le transfert
de la victime. Transféré à l’hôpital régional de Bertoua, l’artisan minier a
été abandonné par l’homme en tenue sans soins. C’est après pression du délégué départemental
des mines pour le Lom et Djerem que l’entreprise va finalement prendre en
charge les soins de la victime après plusieurs jours.

Le cas de M.
Narko TAYO, illustre l’une des conséquences des conflits récurrents entre les
acteurs de la semi-mécanisation et les artisans miniers par rapport à
l’exploitation de l’or dans les régions de l’Est et de l’Adamaoua. Dans le seul
arrondissement de Ngoura, au moins quatre cas similaires à celui de M TAYO ont
déjà été enregistrés en moins d’un an. Le 03 Mai 2019 un artisan minier a été
mis en détention préventive dans les locaux de la gendarmerie de Ngoura sous le
prétexte que ce dernier et ses frères exploitaient dans le permis de la société GRISTON-Colomine Sud dont la
responsable de nationalité coréenne est connue localement sous le nom de Madame
Park. En effet, on se rend compte que dans une zone comme Colomine où près
de 90% de la communauté vit de l’exploitation de l’or, que tous les sites
contenant de l’or ont été accaparés par les détenteurs de permis de recherche,
les détenteurs des autorisations de l’exploitation artisanale (AEA). Ceci, au
détriment des communautés n’ayant pour principale source de revenu que
l’activité de l’or. Le décret d’application du Code minier de 2016 n’étant pas encore promulgué, ces artisans ne sont pas eux aussi en mesure de demander les
autorisations d’exploitation artisanale. Du coup, ces artisans étant à la
recherche de leur subsistance quotidienne sont obligés soit de côtoyer les
sites miniers exploités par les entreprises, soit d’entrer dans leur chantier
minier.
Bien plus, il
se pose la question de savoir pourquoi les entreprises “chinoises“ se
sentent-elles obligées de prendre comme gardiens de leurs sites hommes en tenue
(des militaires ou gendarmes) armées de fusil chargés de balles réelles, qui pour
dissuader les artisans miniers dans leur chantier, tirent sur des personnes
sans défense et ne présentant aucun danger pour leur sécurité, à la recherche
de leur subsistance quotidienne? Cette dissuasion à l’arme à feu constitue une
entorse aux dispositions en lien avec le contenu local dans le code minier de
2016. En effet, le code dans son article 26 al (2) prévoit que l’autorisation
d’exploitation artisanale peut être attribuée dans un permis de recherche,
même si cette attribution est conditionnée par une approbation préalable, l’on
comprend par extension que les populations riveraines elles aussi peuvent
exploiter dans lesdits titres.. En le faisant, le législateur a bien voulu reconnaître que l’exploitation artisanale traditionnelle de l’or qui est une
activité ancestrale, est la principale source de revenus de ces communautés des
zones minières. Par conséquent, le fait que les entreprises minières de la
sémi-mecanisation utilisent leur AEA pour s’accaparer des sites miniers et
expulser carrément lesdites communautés avec les moyens les moins orthodoxes
que les tirs à balles réelles comme ce fut le cas le samedi 02 Mai 2019 à
Colomine, ne peut qu’alimenter les conflits.

A ce stade,
il devient plus qu’urgent, de se demander quel est le niveau d’implication des
hommes en tenue dans l’exploitation minière ? Est-ce que le cahier de charge de ces hommes
en tenue leur donne le droit de tirer à balles réelles ou pas sur les
populations au moindre ordre des commanditaires qui sont très souvent les
exploitants miniers ? Quelle est la réglementation en ce qui concerne l’utilisation
des armes à feu et plus encore, que prévoit ladite réglementation dans des
zones habitées par des populations vulnérables
dans des chantiers miniers ? On se souvient qu’en 2018, à Longa
Mali dans la région de l’Est, c’est un exploitant minier chinois qui avait tué
par balle un artisan minier dans un chantier de l’entreprise minière chinoise
Lu et Lang. Le tireur chinois avait été par la suite tué par les autres
artisans à coup de pierres. Cette rixe malheureuse, une fois de plus avait été
déclenchée après une dispute de parcelle entre les artisans miniers et les
exploitants.
Ainsi, au
regard des dégâts causés par l’utilisation de ces armes à feu dans les
chantiers miniers, pourquoi utiliser de telles armes dans les chantiers
miniers juste pour garder des sites, fût-il d’or ? Si la réponse des
autorités en charge de la gestion des ressources minières est affirmative,
alors il est plus qu’urgent de mieux définir les modalités d’utilisation de ces
armes. D’ailleurs, pourquoi recourir aux hommes en tenue armées pour assurer la
sécurité des sites miniers ? N’existent-ils pas d’autres moyens pour
sécuriser ces sites ? En tout cas, en ce qui concerne les conflits liés
aux parcelles ou espaces, l’expérience du Ghana, devrait sans aucun doute
inspirer la gestion de ces conflits et limiter les morts et les blessés des
accaparements de terre par des tirs à
balles réelles sur des artisans miniers sans défense. En effet, les autorités
ghanéennes ont de concert avec les artisans miniers, les acteurs de la
semi-mécanisation et les entreprises minières industrielles ont procédé à la
délimitation des parcelles, réservant des parcelles à exploiter par les
communautés seules pour préserver leurs moyens de subsistance. Ces zones
dédiées aux communautés comme à l’image des forêts communautaires comme c’est
le cas dans le secteur forestier ou tout au moins des zones agroforestières constituent
des espaces sécurisées pour permettre à des populations établies dans ces
localités depuis de très nombreuses années de continuer à assurer leur survie.
Christelle KOUETCHA