Macro
économiste, il analyse l’impact de la non-interchangeabilité des FCFA et propose des solutions pour sortir de ce problème.
Qu’est ce qui
explique qu’aujourd’hui que le FCFA de l’Afrique centrale et celui de l’Afrique
de l’Ouest ne soient pas utilisés réciproquement dans les pays des deux régions
sans poser de problème comme dans le passé?
Thierry Amougou |
En dehors des
causes historiques liées à l’existence de deux instituts d’émission pour une
seule monnaie, Il n’est pas possible de changer directement le FCFA d’Afrique
centrale contre celui de l’Afrique de l’ouest parce que les deux régions, les
pays qui les composent et donc les deux instituts d’émissions (BEAC et Bceao),
ne se font pas confiance mutuellement. Cette méfiance s’explique entre autre
par le fait que les stratégies monétaires choisies par les deux régions depuis
les chocs pétroliers et les crises financières et monétaires subséquentes sont
assez différentes. En effet, avant le premier choc pétrolier de 1973, l’Afrique
centrale, confrontée à un problème de faiblesse du crédit bancaire dans le
financement de l’économie, avait opté pour une stratégie microéconomique de
gestion expansive de crédit bancaire en faveur du financement des entreprises.
Après les effets néfastes du second choc pétrolier en 1979, cette politique
monétaire expansive est devenue macroéconomique alors que l’Afrique de l’ouest,
en proie à des déficits extérieurs suite au second choc pétrolier, avait choisi
une politique monétaire restrictive (contraction du crédit) afin de résorber
son déficit extérieur par une reconstitution de ses réserves de change. Ces
deux stratégies différentes font que les deux instituts d’émission ne
poursuivent pas les mêmes objectifs et ont automatiquement des monnaies de
valeur et d’usage différents. C’est ce qui arriverait aujourd’hui si l’Europe
avait eu deux banques centrales avec d’un côté une banque centrale qui
appliquerait la politique monétaire restrictive que préconise l’Allemagne et de
l’autre côté une autre qui opterait pour une politique monétaire expansive
voulue par la France pour relancer la croissance par la demande. Cela
entrainerait la naissance de deux Euros de nature et de valeur différentes car
au service de structures économiques, fiscales et sociales différentes.
Le fait que
le FCFA de l’Afrique Centrale soit changé en Euro ou en dollar, avant d’être
changé en celui de la Cedeao profite à qui ?
Cela profite
déjà à l’Africain ordinaire qui était bloqué parce qu’il ne pouvait acheter,
prêter, emprunter, ou éteindre une dette parce qu’il se trouve dans une région
avec un FCFA refusé comme moyen de paiement, intermédiaire des échanges et
réserve de valeur. L’existence du Dollar ou de l’Euro le sort d’un blocage
transactionnel très coûteux si ces devises internationales avaient été
absentes. Cependant les coûts que supporte cet Africain ordinaire ne sont pas
nuls car il doit chercher des informations sur comment avoir des Euros ou des
Dollars, sur où les avoir et à quel taux de change. Cela fait des coûts de
transaction et une perte de temps qui diminuent la valeur d’échange de ses FCFA
de départ. Deuxièmement les profits vont aux courtiers et cambistes africains
qui gèrent le marché informel de change. C’est un marché florissant. Cette
situation profite également aux deux monnaies internationales que sont l’Euro
et le Dollar. Ces deux monnaies jouent ici le rôle d’intermédiation monétaire
entre les deux FCFA, rôle qui prouve que c’est non le FCFA qui circule en
Afrique de l’ouest du centre mais bien effectivement l’Euro ou le Dollar. Deux
monnaies qui renforcent donc ainsi leur domination au sein du système monétaire
international car le manque de convertibilité entre les deux FCFA renforce non
seulement leur assise mondiale, mais aussi la puissance géopolitique et
économique des Etats et régions qui les émettent. Personnellement je ne parle
pas de Zone Franc mais de zone Euro-FCFA pour tenir compte du fait que depuis
la naissance de l’Euro en 1999 la zone Franc est une composante tropicale de la
zone Euro. La monnaie et services qu’elle rend au sein d’un système financier
constituent par ailleurs un bien public. L’absence de parité entre les deux
FCFA fait que la neutralité, la continuité et l’égalité des services que le
FCFA et la Zone-Franc doivent rendre aux citoyens n’est plus un bien public car
le système de paiement offert aux personnes n’est plus cohérent par rapport aux
caractéristiques d’un bien public.
Qu’est ce
qu’il faudrait faire pour que les deux monnaies soient utilisées dans les
différents pays, sans risque de le changer en Euro ou en dollar
obligatoirement ?
Il suffit
d’une volonté politique forte et conséquente des pays africains de la zone
Franc. Ce qu’il faut pour remédier à cette situation n’est pas d’abord
technique mais de l’ordre de l’engagement politique que les dirigeants des pays
africains de la Zone Franc peuvent prendre en se posant les questions
suivantes : qu’est-ce qu’une monnaie dans des pays souverains ? À
quoi sert-elle dans le processus de développement de nos pays ? Les FCFA
nous satisfait-il par rapport à nos problèmes et objectifs de
développement ? S’ils arrivent à la réponse qu’ils sont satisfaits alors
il n y a rien à faire et rien ne se fera. S’ils pensent qu’ils ne sont pas
satisfaits du FCFA alors ils doivent prendre leur responsabilité et être
conséquents par rapport aux deux réformes possibles suivantes : Suivre la
voie de l’UE par la création d’un FCFA nouveau par intégration verticale et
réformes ad hoc que cela impose afin que le FCFA soit relié à l’Euro suivant un
flottement libre qui met de côté le système du compte d’opération. Cette
stratégie présente l’avantage d’un ajustement pas trop brutal au sein de la
Zone Eurofranc. Opter pour une l’intégration monétaire horizontale. Elle
implique la fusion des deux instituts d’émissions actuels (BEAC et Bceao) via
la création d’une seule Banque centrale panafricaine et d’une monnaie
panafricaine. Le sommet d’Abuja en 1991 s’était engagé dans cette voie avec la
création préalable du Fonds monétaire africain (FMA). C’est la voie la plus
souverainiste mais elle reste très timide dans sa mise en route.
Propos
recueillis par Christelle Kouétcha
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